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Histoire de la communauté juive de Lille

Par Danielle Delmaire
Historienne professeur émérite
Université de Lille

Il faut attendre la période révolutionnaire pour qu’une communauté juive se structure dans la ville de Lille.

Autrefois, la ville et ses environs étaient des zones de passage de colporteurs juifs. Par exemple : les habitants du village de Caestre, en Flandre, demandaient, dans leur cahier de doléances rédigé en mars 1789 : « que dorénavant soit défendu aux juifs d’y courir et vendre partout d’étoffes » car ils exerçaient une concurrence aux marchands locaux (rapporté par les historiens A. De Saint Léger et P. Sagnac dans leur présentation Les Cahiers de la Flandre Maritime 1789, parue en 1906).

Mais avec les événements de la Révolution, des familles décidèrent de s’installer à Lille.

Le contexte était favorable. En effet, par la décision de l’Assemblée Constituante (fin septembre 1791) qui émancipait les juifs et en faisait des citoyens égaux aux autres habitants du royaume, les juifs d’Alsace et de Lorraine étaient autorisés à s’installer partout dans le pays.

Des colporteurs ou des maquignons suivirent alors les armées révolutionnaires qui cantonnaient dans la Flandre (victoire de Hondschoote, le 8 septembre 1793 sur les armées coalisées contre les troupes révolutionnaires) et qu’ils ravitaillent. Des familles s’installèrent donc à Dunkerque, Bergues, Saint-Omer et en plus grand nombre à Lille.

Lorsque, dans les années 1805-1810, Napoléon 1er commence à dénombrer les juifs pour organiser les communautés juives, un recensement daté de 1808 et élaboré par les services consistoriaux, récemment mis en place, et préfectoraux évaluait à 130 personnes la présence juive à Lille (166 en tout dans le Nord, l’autre communauté est Dunkerque avec 30 personnes).

La quasi-totalité des chefs de famille était de très pauvres colporteurs qui vivaient au jour le jour, en marge du recensement on pouvait lire fréquemment « indigent ». Mais cette misère n’empêchait pas la fidélité religieuse. Le moins pauvre d’entre ces chefs de famille mettait une pièce de son très modeste logement à disposition de sa communauté pour célébrer le culte et respecter le shabbat. Celui-là même était choisi pour représenter les communautés du Nord auprès de l’Assemblée des Notables réunie, en 1806, par la volonté de Napoléon 1er pour organiser le culte juif en France.

Les représentants devaient subvenir à leurs propres besoins lors de leur séjour à Paris. Salomon Neyman était le premier à quitter l’Assemblée bien avant la fin de ses travaux car ni lui, ni sa communauté, ne parvenaient à faire face à la dépense.

Dans le courant du XIXe siècle, jusqu’à la guerre avec la Prusse en 1870-1871, la population juive ne cessait d’augmenter à Lille (et dans le Nord). Divers recensements ont permis de dénombrer 150 à 200 voire 250 personnes à la veille de la guerre. La communauté lilloise totalisait plus de la moitié de l’effectif pour le Nord.

Durant toute cette période, la communauté était servie par un ministre officiant et à partir des années 1810, elle parvint à louer un local rue de la Halloterie qui faisait office de synagogue.

En 1830, le maire de Lille informa le préfet que « la synagogue des israélites était située en cette ville dans une pièce de la maison n° 5 cour du Pourpoint d’Or, rue des Bouchers ».

En 1845, les membres de la communauté de Lille louent une maison particulière, rue des prisons, à proximité du palais de justice, puis l’achètent et l’aménagent en synagogue.

La situation socio-professionnelle se diversifie. Les chefs de famille vivent encore très majoritairement du commerce mais ils voyagent moins et la plupart ont pu ouvrir un magasin.

Les enfants de colporteurs deviennent des marchands ou négociants, toutefois l’un d’entre eux est employé des contributions indirectes, les fils d’un marchand d’étoffes (années 1830-1840) sont docteur en médecine et lieutenant de vaisseaux (fin des années 1860). Mais ce sont là quelques exceptions.

Sans être riches, les membres de la communauté juive ont le souci d’instruire leurs enfants dans leur propre école qu’ils ouvrent en 1845 et l’enseignement est dispensé aux garçons et aux fillettes. L’expérience ne résiste pas aux bouleversements de la révolution de 1848 et, faute de moyens, elle n’est pas reprise sous le Second Empire. C’est pourtant durant cette période que la communauté prend de l’importance au point que le Consistoire de Paris dont elle dépend envisage, en 1869, de créer un poste de rabbin pour remplacer celui de ministre officiant, trop modeste pour la communauté lilloise.

Mais les événements de 1870 perturbèrent ce projet. Suite à la défaite française en 1871, deux grands rabbins des régions annexées à l’Empire allemand refusèrent de se soumettre et optèrent pour la France, comme un grand nombre de leurs coreligionnaires. L’un d’eux est Benjamin Lipman, grand rabbin de Metz. La toute nouvelle IIIe République créa pour lui le consistoire de Lille, en 1872. Le service rabbinique de la communauté lilloise, en trois ans à peine, passe d’un poste de ministre officiant à celui d’un grand rabbin.

Mais cette promotion n’est pas superflue car, avec l’annexion de l’Alsace et la Moselle, de nouveau des familles juives élisent domicile dans le Nord et à Lille. Les recensements de 1890 et 1897 donnent les nombres suivants 680 et 663 auxquels il faut ajouter 130 personnes pour Roubaix et Tourcoing qui dépendent de Lille. Aux Alsaciens-Lorrains s’ajoutent quelques individus ou couples venus de Russie (Mishkind). Les membres de la communauté lilloise appartiennent à une catégorie socio-professionnelle moyenne. De nombreux chefs de famille sont encore actifs dans le commerce mais les professions se diversifient.

À la fin du XIXe siècle, le président du consistoire est le professeur de médecine Wertheimer, un autre président est Frédéric Bère, homme politique, Bernard Welhoff siège au conseil municipal etc. Ce qui n’empêche pas le fonctionnement nécessaire d’une ¼uvre de Bienfaisance pour secourir des familles dans le besoin et pour aider des coreligionnaires d’Europe centrale fuyant les pogromes afin de leur permettre de continuer une migration outre atlantique. Quelques ressortissants de l’Empire ottoman s’établissent également à Lille.

Cette communauté, très vivante, est encadrée spirituellement par le grand rabbin Benjamin Lipman jusqu’à son décès en 1886. Il se distingue par son souci d’entretenir la foi de ses coreligionnaires et il participe activement à la traduction en français de la Bible, sous la houlette du grand rabbin Zadok-Kahn. Avec les présidents du consistoire et de la communauté, il a le souci de faire ériger une synagogue à Lille, digne d’un siège consistorial. Après plusieurs projets, une monumentale synagogue est construite, elle a été inaugurée en grandes pompes en septembre 1891. C’est toujours dans ce même édifice que l’actuelle communauté suit les offices religieux. Elle vient d’être judicieusement rénovée, sous l’impulsion de l’actuel président de la communauté M. Guy Bensoussan.

À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la communauté juive de Lille affronta les événements qui touchèrent toute la France : l’affaire Dreyfus et les inventaires des lieux de culte suite à la loi de séparation des Églises et de l’État. Les rues de Lille s’animaient lors des procès de Dreyfus et la presse antisémite se déchainait contre les juifs de Lille accusés de fraude et de malhonnêteté. Quant à l’inventaire de la synagogue de Lille et de l’oratoire de Roubaix, il se déroulait sans aucun incident.

Lors de la Première Guerre mondiale, Lille se trouvait dans la partie occupée du département. Se posait alors la douloureuse question pour les juifs de Lille d’accueillir leurs coreligionnaires allemands à leurs offices, alors que chaque famille avait au moins un de ses membres sur le front. En janvier 1916, une terrible explosion détruit l’arsenal allemand qui se trouvait non loin de la synagogue. Celle-ci subit quelques dégâts qui ne seront réparés que durant la décennie suivante.

Dès les années 1920, d’autres vagues migratoires amenèrent de nouvelles familles juives à Lille, originaires de Turquie d’abord, elles fuyaient la révolution nationaliste menaçante pour les minorités, venues d’Europe centrale ensuite et particulièrement de Pologne où sévissaient la misère et l’antisémitisme. Ces nouvelles familles n’étaient pas toujours bien accueillies par leurs coreligionnaires français qui leur reprochaient une certaine ostentation et un parler yiddish trop proche de l’allemand. Inversement, les famille turques et surtout polonaises s’étonnaient du laxisme religieux (office, nourriture etc.) de ces Français israélites. Un oratoire s’ouvre en ville et permet aux Polonais de suivre un office qui leur convient mieux que celui célébré à la grande synagogue. Le quartier populaire Saint-Sauveur regroupe plusieurs foyers juifs issus de l’immigration.

La communauté de Lille est guidée, dans les années 1930, par le grand rabbin Léon Berman, érudit et auteur des Contes du Talmud ainsi que d’une Histoire des Juifs de France. Il est déporté fin 1943. Le sionisme ne convainc pas beaucoup les juifs français, en revanche il fait quelques adeptes dans les rangs des immigrés.

Comme toutes les communautés juives, celle de Lille est bouleversée par la Seconde Guerre mondiale. D’abord, en mai-juin 1940, c’est la fuite vers le sud pour de nombreuses familles juives pour ne pas revenir avant la fin de la guerre.

Puis le Nord et le Pas-de-Calais sont rattachés au Gouvernement militaire allemand de Bruxelles et les familles restantes sont soumises au même calendrier de persécutions qui touchent les juifs de Belgique. Les premières arrestations ont lieu dès l’été 1942 et la grande rafle du 11 septembre 1942 se déroule dans les deux départements et en Belgique. Les personnes raflées sont acheminées, ce matin-là, vers la gare de Lille-Fives où un train est en partance vers le camp de rassemblement de Malines, près d’Anvers, puis Auschwitz.

Les juifs de Lille sont rejoints par des personnes arrêtées dans les deux départements, soit environ 600 adultes et enfants, en tout. En gare de Lille-Fives, des cheminots et d’autres personnes, déjà bien aguerris dans l’opposition à l’occupant allemand, se mobilisent pour soustraire de la déportation une soixantaine de personnes. Les habitants du quartier, souvent impliqués dans la Résistance, prennent le relai des cheminots, notamment les paroissiens protestants du pasteur Nick, pour éparpiller les adultes et les enfants chez des particuliers et dans divers établissements. Finalement 513 juifs de la région sont conduits à Malines.

Le 28 octobre 1943, une seconde rafle moins importante atteint les juifs originaires de Turquie, de Hongrie et d’Italie. Après un court passage à la prison de Loos, ils sont dirigés vers Malines où tous ne sont pas déportés. Toutefois une quinzaine de personnes sont acheminées, en décembre 1943, à Ravensbrück pour les femmes et leurs enfants et à Buchenwald pour les hommes.

Enfin, la persécution est aussi synonyme de spoliation. Petites et grandes entreprises ont été « aryanisées », il s’agissait parfois d’un très modeste magasin, avec son fonds de commerce, et l’habitation attenante. À leur retour, les rescapés de la Shoah rencontrent bien des difficultés pour recouvrer leurs biens.

Après la guerre, la communauté est meurtrie : les disparitions sont nombreuses et touchent des familles entières, les plaques commémoratives, apposées sur les murs de la synagogue, en témoignent. S’y ajoutent les noms des fusillés pour actes de Résistance. La communauté se reconstruit aussi vite qu’elle le peut avec le retour de quelques déportés et celui des familles réfugiées dans le sud, pas toujours épargnées de la déportation. Les années 1960 voient arriver quelques familles d’Afrique du Nord, souvent attachées aux pratiques religieuses. La mixité se réalise même si, aux grandes fêtes, l’office est parfois séparé pour respecter des traditions différentes. Le sionisme rassemble toujours des bonnes volontés et des jeunes font leur alya. Dans les années 1970-1980, la communauté se mobilise pour la libération de refuzniks en URSS.

Enfin durant les années 2019-2020, s’est ouvert un grand chantier de rénovation de la synagogue, intérieurement et extérieurement. Celle-ci a retrouvé certaines de ses décorations initiales et son lustre des premières années.

Sources : Archives départementales du Nord, Archives nationales, Archives pour l’histoire du peuple juif à Jérusalem, témoignages.

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